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Un nouvel éclairage sur les Vaudois

Les Vaudois, Histoire des "Pauvres de Lyon" XIIe XVIe siècle.
Par Gabriel AUDISIO

professeur émérite d’Aix-Marseille Université, spécialiste d’histoire culturelle et religieuse
Éditions Équinoxe (juillet 2015) 304 pages, 26€


S’appelait-il Valdo comme le veut la coutume, ou plutôt Valdès ou Vaudès comme le disent certains chercheurs actuels ? Officiellement, c’est-à-dire en latin, il écrit : « ego, Valdesius… » Avait-il un prénom ? Ses disciples un siècle plus tard le prénommèrent Pierre comme l’autre pêcheur d’hommes… On sait peu de choses de lui en dehors de l’essentiel : riche marchand lyonnais, il distribue son importante fortune aux pauvres, après avoir assuré la sécurité de sa femme et de ses filles, et prend la route à pied, quêtant son pain pour prêcher l’Évangile vers 1170, au moment même où naît un certain Dominique de Guzman – futur St Dominique – et douze ans avant la naissance d’un certain François, fils d’un riche marchand d’Assises – futur St François -… qui comme lui quitteront tout pour mendier en prêchant le Rachat et le Salut… C’était un siècle rude et doux à la fois pour secréter ainsi ces personnalités assez puissantes pour prendre au pied de la lettre la parabole du jeune homme riche… Mais si les deux religieux, après toutefois des débuts bien difficiles, furent finalement canonisés, Valdo, lui, mourra obscur fuyard, persécuté et hérétique…

Et pourtant tout avait bien commencé pour lui : nombreux sont ceux qui quittent tout pour le suivre sur les grands chemins, vrais disciples qui s’appelaient entre eux « Frères », tandis que les foules séduites célébraient les Pauvres de Lyon. Suivis de ses frères, Valdo parcourt le sud-ouest prêchant la Bonne Parole pour ramener les hérétiques « bonshommes » cathares dans le chemin de Vérité, avec souvent le soutien ou la complicité du clergé local et même des évêques. L’appel de la pauvreté choisie est si fort en ces temps lointains, qu’en quelques décennies le mouvement s’étendra sur la moitié sud de la France, en Piémont, en Bohème, Moravie, Thuringe et jusqu’en Poméranie. Plus tard, les « frères » tisseront même des liens avec les Thaborites hussites de Prague.

Pour aider à la compréhension des foules, Valdo fit traduire des textes évangéliques et bibliques du latin en langue vernaculaire. À sa suite, ses prédicateurs qui, pour la plupart savaient manifestement lire et écrire, pérégrineront comme les dominicains le livre attaché à la ceinture, le livre alors symbole de savoir et porteur de prestige. Ces livres traduits « per lo grossier poble et la simpla gent » selon les inquisiteurs, seront peut-être un des éléments de son succès, et sans doute un élément de sa perte… Valdo, ce laïc qui sait lire mais ne parle pas latin, est de ce fait incapable de discuter subtilement avec ces dominicains cultivés raffinés théologiens communiquant par-dessus les frontières linguistiques dans la langue internationale d’alors – le latin et qui sont chargés de veiller à la stricte orthodoxie. Face à eux, ce laïc ne pouvait que rencontrer des problèmes. Ses traductions étaient-elles hétérodoxes ou approximatives ou tout simplement insuffisantes ? Mais les temps changent : en 1184 le Concile de Vérone abandonne l’usage exclusif de la persuasion en matière d’hérésie pour user désormais de la coercition avec l’aide du bras séculier. Les cathares si combattus en parole par Valdo sont alors déclarés hérétiques, comme le sont aussi les Umiliati du Piémont, les Patarins et bien d’autres et comme le sera nommément Pierre Valdo lui-même.

Désormais, le mouvement entre dans la clandestinité pour des siècles… il quitte les villes trop surveillées et de citadin devient campagnard, de public devient caché, perdant ainsi progressivement contact avec le dynamisme des cités alors en pleine expansion pour sombrer peu à peu dans le repli, le furtif, la victimisation et le passé. Progressivement, le mouvement se change en secte. Et l’on a ces récits de bourgs de campagnes où l’arrivée du « barbe » (oncle en provençal) à la nuit tombée rassemble furtivement les « frères » en « synagogues » par le bouche-à-oreille familial pour écouter son prêche, chanter les psaumes et vibrer en miroir aux récits des souffrances des Macchabées bibliques en proie aux despotes Perses. Les années passant, les mariages exclusivement entre « frères » accentueront leur isolement.
L’arrivée de la Réforme au XVIe siècle sera une bouffée d’air frais pour l’Église Vaudoise, bientôt anéantie par le brûlement de Mérindol, de Cabrières, d’Oppède, de onze villages du Luberon et le massacre en masse de leur population lors de la semaine sanglante de 1545 sauvagement conduite par Jean Maynier président du Parlement d’Aix et baron d’Oppède avec l’aide « des vieilles bandes du Piémont » de retour des guerres d’Italie. Violences rapidement suivies par le massacre des vaudois de Calabre et de Pouille par le Roi de Naples et celui des frères piémontais par Philibert de Savoie. Les liens deviendront dès lors plus étroits avec la puissante Réforme qui débute, les mariages se feront sur une base « protestante » bien plus large et les Vaudois s’intégreront si bien dans cette Réforme que le mouvement disparaîtra en tant que tel.

Une écriture alerte, élégante au service d’une érudition jamais pédante fait de ce livre une lecture indispensable à tout historien amateur. Rien que le titre des chapitres vous donnera une irrésistible envie de l’ouvrir : Naître : une volonté (1170-1215) ; S’adapter : une nécessité (XIIIe siècle) ; Croire autrement : un défi (XIVe) ; Durer : un risque (XVe) ; Se cacher : une contrainte ; S’organiser : un besoin ; Une autre culture ; Mourir : une solution d’avenir. Et en conclusion : Secte ou église ? Rupture ou continuité ? Mutation, conversion ou suicide ? Un régal ! >

Si vous voulez aller au-delà du livre, ou lire quelque chose de moins long, mais tout aussi sérieux, allez donc commander et lire le numéro 97 de l’excellent bulletin
« La Valmasque » (mars 2015 10€)
de l’Association d’Études Vaudoises et Historiques du Luberon
Adresse :
La Muse B.P. 4
84360 Mérindol

Site internet (abrité par le site de la BNF) :
Études Vaudoises et Historiques du Lubéron

François-Marie Legœuil