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Château du Tertre : Roger Martin du Gard y accueille André Gide

Madame de C… qui accueille régulièrement notre association (Les Amis du Musée Alain) dans son château du Tertre à Sérigny, demeure de Roger Martin du Gard, nous attendait à nouveau devant la grille sous un ciel menaçant d’automne.Nous allions évoquer la très longue amitié qui unissait Gide et Martin du Gard depuis ce jour de 1913 où Gide décida Gallimard à publier Jean Barrois. Martin du Gard racontera ainsi sa rencontre avec Gide : « Un homme se glisse dans la boutique à la façon d’un clochard qui vient se chauffer à l’église… il fait songer à un vieil acteur famélique et sans emploi ; à ces épaves de la Bohème qui échouent un soir de dèche à l’Asile de nuit… je suis confondu : c’est André Gide ! » Gide lui dédiera Les Faux monnayeurs en 1925 : « Aurai-je écrit ce livre sans vous ? J’en doute. »

Par l’ancien potager et la serre, nous gagnons les communs, l’ancien pressoir à pommes, l’écurie, la buanderie où se tient cette exposition. Dès l’entrée, une photo de Gide à 25 ans en 1894 me surprend : visage allongé, cheveux plutôt longs, collier de barbe, très séducteur romantique. C’était dans son château de la Roque-Baignard, commune dont il deviendra le maire avant de le vendre pour vivre au château de Cuverville.

Les documents, les livres présentés évoquent cette vie sociale normande très active, ces séjours chez les uns et les autres entre artistes : des peintres comme Albert Desmarest qui sera témoin à son mariage, Jacques-Émile Blanche, ou Paul-Albert Laurens qui lui fera découvrir l’Algérie ; des écrivains comme Oscar Wilde, exilé à Berneval et avec qui il fera un second voyage en Algérie, ou encore Paul Fort, Henri Ghéon son complice d’aventures, Francis Jammes, Jean Schlumberger et tant d’autres…

Les photos nous les montrent avec des tenues trahissant leur époque : crinolines, redingotes, hauts de forme, binocles et chaînes de gousset de la Belle-époque ; feutres, gilets, lunettes d’écaille rondes, vestes de tweed croisées, chapeaux cloches et robes aux genoux pour les années Folles… Et bien sûr, les photos plus classiques de Gide, chapeau, lunettes et cape flottante : le Gide que nous reconnaissons tous.

Tout ce monde se réunissant et se fréquentant dans les châteaux normands : La Roque-Baignard d’abord, Cuverville ensuite et les châteaux de ses amis comme Val-Richer ou surtout le château du Tertre. Il y viendra à maintes reprises à partir de 1927. Martin du Gard raconte ainsi cette première arrivée : « Il a voyagé dans l’auto, enseveli sous les couvertures, horrifié par les coulis d’air, craignant la pneumonie… » Martin du Gard écrit avoir été « en étroite intimité avec Gide, avec sa personne, sa vie, son entourage… » et en laissera des portraits étonnants dans ses Notes sur André Gide : « Il a le génie de l’inconfort : où qu’il soit, il semble être de passage… » « Un soir au coin du feu, il nous a proposé à sa femme et à moi de nous donner lecture d’un article « remarquable » de son oncle Charles Gide ( Article sur les inaugurations des monuments aux morts…) Gide en lisant ce passage a été saisi d’une telle émotion, qu’il a dû s’interrompre à plusieurs reprises, littéralement suffoqué par les sanglots… et de grosses larmes enfantines roulaient sur ses deux joues mal rasées, et se rejoignant sous le menton avant de mouiller sa cravate… » Il prendra aussi de nombreuses photos tant au Tertre qu’aux Décades de Pontigny que nous retrouvons pour notre plaisir sur les murs de l’exposition.

Marc Allegret fixera sur la pellicule un séjour de Gide au Tertre où Gide rencontra Marcel Coppet, gendre de Martin du Gard et Gouverneur en Afrique qui jouera un grand rôle dans le voyage au Congo. Nous sortons de l’exposition, la tête bruissant de citations, les yeux éblouis de photos, avec presque le sentiment d’avoir assisté à l’une des réunions de ces êtres d’exception dans ces lieux d’exception. C’est à ces impressions que l’on juge de la réussite d’une exposition.

François-Marie Legœuil
Avec les Amis du Musée Alain et de Mortagne-au-Perche 2016

Si vous souhaitez vous renseigner dur le programme, cliquez sur ce lien : Maison d’écrivain de Roger Martin du Gard